Note : Belgique est la sœur jumelle d’Annibal le Vital (voir l’autre histoire)
Je m’appelle Belgique et je suis apathique.
Toute petite déjà, dans mon berceau, je ne bougeais pas, ou si peu.
Mes parents dépressifs et anxieux m’avaient emmaillotée et suspendue au mur de la ferme, pour éviter que les rats me mangent. Plus tard, lorsque j’eus dix-huit mois, je voulais explorer le vaste monde de la salle à manger mais je m’entendais dire à chaque tentative d’escapade « Bouge pas, reste tranquille, arrête de te trémousser comme ça ! ».
J’en ai conclus que bouger était dangereux, et maintenant, même si je suis adulte, je prends à peine la place d’un tout petit enfant dans une assemblée : genoux serrés, bras collés au corps, menton rentré, j’obstrue le flux naturel de la vie dans mon corps rabougri.
Je ne me fie à aucun de mes sens, mes sensations sont toujours source de menace.
Je mange peu et mal, et rien de ce que j’absorbe ne parvient à nourrir en moi la sensation d’être en vie.
Car au fond de mon âme, je me sens morte, et je traverse l’existence comme un fantôme traverserait un grenier oublié, par erreur ou ennui.
Je souffre d’aboulie, d’asthénie et d’hypocondrie. Même quand je ne suis pas malade, je me sens amaigrie, atteinte et appauvrie.
Je suis vierge : aucun désir n’allume le feu de mes veines. Ma pression artérielle est si basse que pour entendre battre mon cœur il faut un stéthoscope de la taille de la Tour Eiffel.
Jamais je ne sors de chez moi, je reste calfeutrée au fond de mon lit froid.
Car même quand il fait chaud, le froid grignote en moi le peu de vie qu’il me reste.
D’ailleurs, au lit, je n’y dors pas ou très mal. Je rêve chaque nuit que les fauves m’attaquent, ces horribles machines à instincts, prédateurs de mon âme affaiblie.
Je ne fais rien de mes journées, et pourtant je suis toujours fatiguée. Les rares fois où je m’agite, je le fais de façon mécanique, et mes actions n’ont aucun sens.
J’ai peur de tout et de tout le monde.
Je ne sais pas me battre ni lutter. Mes articulations sont raides et mes muscles, engourdis. Disons-le tout de go : je n’ai pas d’énergie, ni verte, ni solaire, ni même électrique, même si je m’appelle Belgique.
Je sais, c’est pathétique.
Je respire parce qu’il le faut bien, à peine et avec peine. Mon diaphragme est chiffonné comme un vieux parchemin de la Mer Morte.
Mon mot préféré est « non », et parfois, à l’extrême limite, « peut-être ».
Je connais l’atonie, la langueur, la léthargie. Je suis molle comme une fesse en automne.
En vérité, je vous le dis, moi, Belgique l’Apathique, je chante avec Johnny:
« Qu’on me donne l’envie, l’envie d’avoir envie, qu’on rallume ma vie ».
Lire l’Histoire véridique d’Annibal le Vital, frère de Belgique 😉